Pourquoi ne pas gérer les émotions de l’enfant ? (2/3)

1 septembre 2023
Pourquoi ne pas gérer les émotions de l'enfant ? (2/3)

Dans la première partie de cet article, j’ai évoqué le mécanisme adaptatif de survie qu’est l’émotion et passé en revue différentes raisons pour lesquelles il n’est pas toujours aisé, en tant qu’adulte, d’accueillir les émotions de l’enfant. Dans les situations difficiles et explosives, une partie de la solution se trouve donc du côté du parent, dans le dialogue intérieur qu’il peut mener pour accueillir ses propres émotions et modifier sa perception de la situation.

Néanmoins, que ce soit en tant que parents ou en tant que professionnels, vous êtes nombreux à exprimer votre désarroi et à vous demander comment réagir, que dire et que faire, auprès de l’enfant directement. Dans cette deuxième partie, je vous propose de nous intéresser aux émotions exprimées par le nourrisson et le bébé dans ses premiers mois de vie. Mettons-nous…

À l’écoute des pleurs du bébé

Très souvent, les parents (ou plus largement les adultes pourvoyeurs de soins) sont tournés vers l’objectif de faire cesser les pleurs du bébé, avec cette idée qu’un “bon” parent est un parent dont le bébé ne pleure pas ou peu. Et cela se comprend tout à fait !

D’une part, en fin de grossesse et pendant les premières semaines sur terre de l’enfant, la mère expérimente un état particulier d’hypersensibilité aux messages de son enfant, que le psychiatre Donald Winnicott a nommé “préoccupation maternelle primaire”. Les pleurs et manifestations du bébé sont donc impossibles à ignorer et prennent tout l’espace en elle. De plus, les cris/pleurs du bébé sont un signal parfait pour assurer sa survie : juste assez stridents et intenses pour imposer que l’adulte y cherche une réponse, mais pas trop pour ne pas qu’il fasse en sorte de ne plus jamais les entendre.

Les émotions des parents sont souvent mises à mal par les pleurs du bébé : impuissance, doute, désarroi, inquiétude, panique et auto-dévaluation lorsqu’ils ne parviennent pas à les calmer. Et ces émotions s’accompagnent de manifestations physiques très dérangeantes : tensions musculaires, tremblements, sensation d’oppression, transpiration, maux de ventre, maux de tête, frissons, rougeurs au visage, gorge nouée, mal aux oreilles, envie de pleurer mais également envie de secouer, de crier, de bercer fort. L’adulte ressent physiquement une urgence à faire cesser les pleurs !

D’autre part, et je l’entends fréquemment en tant que doula, les parents ne reconnaissent souvent que deux significations aux pleurs de leur bébé : un besoin insatisfait (faim, soif, contact…) et la douleur, voire la souffrance. Il est évident que si le parent pense que son bébé souffre, il est entièrement tourné vers l’idée de faire cesser cette souffrance. Cette interprétation et le vécu difficile des parents face aux pleurs peuvent être renforcés par des messages et des connaissances issues des neurosciences qui ne sont peut-être pas suffisamment explicitées : “ne laissez pas pleurer votre bébé, un bébé ne pleure pas pour rien”.

C’est certain! Et il est heureux que ce message soit aujourd’hui largement véhiculé, après plusieurs décennies passées à laisser les bébés hurler dans leur berceau pour “se faire les poumons”.

Mais si les bébés pleurent pour signaler un besoin, un inconfort ou une douleur auxquels il est souhaitable d’apporter une réponse adaptée, ce ne sont pas les seules raisons. Et “ne pas laisser pleurer son bébé”, ce n’est pas “trouver impérativement un moyen de faire cesser ses pleurs”. Une distinction importante, qui peut nécessiter du temps et de l’accompagnement pour être intégrée.

Pleurer est son seul moyen d’exprimer des besoins mais aussi son seul moyen d’évacuer toutes formes de stress ou les effets physiologiques du stress (cortisol, adrénaline). Rappelons que le stress, mot qui a tendance à être galvaudé, désigne l’ensemble des moyens physiologiques et psychologiques mis en œuvre pour s’adapter à un événement donné, un changement etc. Et les sources de “stress” sont nombreuses pour un bébé : vécu in-utéro (et notamment le stress ressenti par la mère qui passe la barrière placentaire), vécu de la naissance, adaptation au milieu terrestre très différent du milieu utérin (gravité, digestion, température, etc).. Mais aussi les effets rétroactifs de besoins non satisfaits, la sur-stimulation (sorties, visites par exemple), la frustration accumulée liée aux premiers apprentissages, les expériences qui peuvent être effrayantes, l’adaptation à un mode de garde ou à de nouvelles personnes…

Mais les pleurs, ce n’est pas une source de stress pour le bébé?

Et bien non! Les pleurs, c’est une solution au stress et le révélateur d’un stress passé ! C’est valable aussi chez l’adulte : qui n’a pas expérimenté l’apaisement après les pleurs ou le fait de pleurer de manière tout à fait involontaire et incontrôlable après avoir eu très peur?

Chez l’être humain, le système nerveux sympathique (SNS) décharge les hormones du stress (cortisol et adrénaline) dans tout le corps en cas d’alerte. À l’opposé, le système nerveux parasympathique (SNP) active les sensations de détente, de repos, de tranquillité. Or le SNP ne peut s’activer que si le SNS est désactivé. Et pour désactiver le SNS, l’être humain dispose d’une palette d’outil : nommer ce qu’il vit (et donc lui donner un sens), dépenser l’énergie libérée par le SNS via l’activité physique, rire, bailler, pleurer, s’adonner à une activité qui détend (lecture, jeux)… Pour le bébé, seuls les pleurs sont accessibles parmi cette palette d’outils!

On peut percevoir ce comportement comme un bébé qui raconte ce qu’il a vécu via les pleurs, qui prennent alors la même fonction que les mots que nous pouvons poser quand nous éprouvons le besoin de donner du sens ou de partager un vécu intense avec une personne de confiance. Dans ces moments-là, de quoi avons-nous besoin, si ce n’est d’écoute et d’attention ? Comment réagirions-nous si notre conjoint, notre amie faisait tout pour nous distraire, nous nourrir, et faire cesser l’expression de notre émotion?

On peut supposer que l’on fait face à ce genre de pleurs lorsqu’on sait/pense que tous les besoins physiologiques ont été satisfaits, ou que les pleurs arrivent à un moment particulier de la journée ou dans un contexte particulier. J’ai également remarqué qu’un bébé qui “décharge” ou “raconte” semble réceptif lorsqu’on l’écoute et qu’on nomme ce qu’il vit ou ce que l’on suppose qu’il vit. Je l’ai notamment observé lors de bains thérapeutiques, avec des bébés qui pleuraient d’une manière bien particulière à la sortie du bain, en rejetant la tétine ou le sein, et qui modulaient leurs pleurs lorsque le parent le regardait dans les yeux en lui parlant, comme un dialogue. Dans ces cas-là, le parent n’a rien à faire, pas d’actes à poser ou de solution à trouver, au sens où la source de stress se situe dans le passé.

Ni avoir, ni faire… être !

Les pleurs du bébé sont donc parfois des pleurs de guérison, qui ont seulement besoin d’être entendus : en sécurité dans nos bras, avec toute notre écoute et notre attention, peut-être en prenant le temps de s’ancrer et de s’auto-rassurer en tant que parents. Le bébé sent qu’il peut faire confiance à l’adulte, qu’il peut s’exprimer de manière authentique. Ces moments peuvent se présenter plus ou moins fréquemment, selon l’histoire du bébé et ce qu’il vit au quotidien. Bien-sûr, si après un temps d’écoute, les pleurs redoublent d’intensité ou vont crescendo, il est sûrement nécessaire d’envisager d’autres causes plus physiques.

En percevant les pleurs du bébé comme l’expression d’une émotion qui s’accueille, on évite aussi au bébé de potentiellement développer ce qu’ Alétha Solter* appelle “un automatisme de contrôle”. Si l’adulte a tendance à répondre aux pleurs systématiquement de la même façon, cela peut amener l’enfant à se donner systématiquement à lui-même cette même réponse face aux émotions en grandissant. Par exemple, la nourriture sucrée peut devenir la stratégie de réponse aux émotions pour l’enfant à qui on donne le sein dès qu’il pleure, ou l’hyperactivité si on berce systématiquement le bébé pour le calmer.

Ainsi, être présent sans chercher à tout prix à faire taire les pleurs est une réponse pleine de sens à apporter aux pleurs du bébé qui ont pour origine un stress passé, une émotion vécue, une histoire à raconter. C’est l’autoriser à vivre et à traverser des émotions sans avoir à prendre en charge son parent (“papa se sent mieux quand je ne pleure pas”, “maman est contente quand je n’exprime pas”). L’enfant expérimente peu à peu qu’une émotion se vit, tout simplement : elle monte, se traverse et s’apaise naturellement, comme une vague.

Et avec les enfants plus grands alors ?

Rendez-vous dans la dernière partie de cet article !

Et si celui-ci vous a été utile, vous questionne ou vous titille, n’hésitez pas à me laisser un petit commentaire !

Par Marjorie POTEAUX MARCHAL, Doula à Nancy

www.marjorie-doula.fr

Photo : Clémentine Miano lors du bain thérapeutique d’Elia par Marion Ortega.

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