Pourquoi ne pas gérer les émotions de l’enfant ? (1/3)
17 mars 2023Si les neurosciences affectives ont si profondément bouleversé les rapports entre adultes et enfants ces dernières années, c’est bien grâce à la place (enfin !) faite aux émotions. Au-delà des apports théoriques concernant le développement et la maturation du cerveau de l’enfant, la diffusion de ces connaissances a permis aux parents d’accepter tout un pan de la vie de leur enfant, qui a longtemps été voué à être réprimé voire complètement nié : la vie émotionnelle.
Les émotions, kesako ?
Sur le plan phylogénétique, l’émotion est une solution biologique qui a pour but d’assurer la survie. Rien que ça ! En effet, des noyaux cérébraux détectent et évaluent en permanence ce que nous percevons de notre environnement. S’ils estiment que les ressources nécessaires pour appréhender cet environnement excèdent nos ressources internes. Si oui, ils déclenchent de manière automatique et inconsciente des réactions biologiquement inscrites :
- L’engagement social
- L’attaque, l’agressivité ou la fuite
- Le figement
Ainsi l’émotion est la réponse de l’organisme à l’évaluation d’une perception interne ou externe. En associant un vécu agréable ou désagréable à cette perception, l’émotion véhicule un message sur un besoin satisfait (vécu agréable) ou insatisfait (émotion désagréable). L’objectif ? Nous encourager à décoder ce message pour adapter notre comportement afin de satisfaire les besoins qui doivent l’être et renforcer la satisfaction de ceux qui le sont déjà.
Si nos émotions ont cette capacité de nous déborder, de ne pas se laisser ignorer, de prendre beaucoup de place… c’est normal, puisqu’elles ont une très forte valeur adaptative avec des enjeux de survie à la clef ! Vous commencez peut-être à comprendre le titre, légèrement provocateur, de cet article ?
Ce sont également nos émotions qui nous relient aux autres : même si chaque être humain perçoit à sa manière une situation, nous sommes tous amenés à vivre et à traverser une palette universelle d’émotions. Ce constat est d’ailleurs l’un des fondements de la conscience non-violente : si je peux être en désaccord voire rejeter une pensée ou un comportement chez l’autre, l’émotion qui sous-tend ce comportement ou cette pensée est toujours juste et n’a pas à être remise en question. Lorsque j’adopte ce regard sur les agissements d’autrui, je peux être dans une démarche constructive et d’unité même face à des comportements qui me heurtent.
L’émotion, c’est tout simplement le mouvement de la vie à l’intérieur de nous.
Pourquoi voudrions nous à tout prix gérer les émotions (souvent au sens de contenir, faire taire) , en particulier celles de nos enfants, puisqu’elles sont si précieuses ?
Une écoute de soi qui déroute
D’abord, parce que traverser une émotion désagréable n’est pas confortable et que nous nous sommes habitués à faire taire de toute urgence les signaux désagréables à l’intérieur de notre corps. Cela s’entend puisque nous avons établi juste avant que, pour la partie archaïque de notre cerveau, notre survie est en jeu et qu’elle ne différencie pas un danger concret d’un danger émotionnel. Ceci a largement été renforcé par notre éducation, où nous avons intégré qu’exprimer nos émotions désagréables pouvait amener des expériences encore plus désagréables et dommageables à notre survie (déception, réprimandes, exclusion, punitions, châtiments corporels, etc). Ainsi, même à l’âge adulte, la maturité émotionnelle que nous serions en droit d’espérer avec la maturation des structures cérébrales est loin d’être acquise ! Notre intelligence émotionnelle, qui regroupe des savoirs-être allant de la connaissance de soi à l’empathie (envers soi et l’autre), en passant par le dialogue intérieur apaisé et la communication saine de nos besoins à autrui et à nous-même, n’est pratiquement jamais étayée à un âge où notre plasticité cérébrale nous permettrait d’intégrer cela avec fluidité.
Plus subtilement, j’ai la conviction que l’écoute de nos émotions nous force à ralentir, à porter notre attention sur ce que nous vivons, à nous mettre à l’écoute de notre intériorité. Lorsqu’une personne se met à l’écoute de son intériorité, elle gagne en liberté, elle peut faire des choix qui lui sont propres et qui peuvent entrer en contradiction avec les attendus sociétaux ou familiaux. Les émotions sont, en quelque sorte, les ennemis de la société performante et productive dans laquelle nous vivons.
Notre vie émotionnelle est imbriquée avec celle de l’enfant
Lorsqu’on devient parent aujourd’hui, grâce à la diffusion des apports des neurosciences, nous pouvons avoir conscience de ces enjeux et vouloir faire de la place aux émotions de nos enfants. Et je suis convaincue que c’est une très belle avancée ! Toutefois, il me semble que nous pouvons aisément nous heurter à deux pièges :
Le premier, c’est de négliger nos propres émotions de parents ou de professionnels lorsque nous souhaitons accompagner la vie émotionnelle de l’enfant et de croire que l’émotion (souvent perçue comme le problème) et sa « résolution » se situent uniquement au niveau de l’enfant.
Bien souvent, derrière un petit qui se roule par terre de frustration, il y a un « non » de la part du parent qui parle de lui, dans beaucoup de cas, sans que cela ne soit clair.
En effet, il est impossible d’établir une liste universelle de comportements interdits ou autorisés (sinon, elle existerait depuis longtemps!). Ainsi, le cadre posé par chaque parent, ses réactions dans chaque situation, parle de lui, de son histoire, ses valeurs, ses besoins et ses émotions.
Un exemple évident est celui des jeunes parents qui viennent d’accueillir un bébé et qui se sentent bouleversés dans leurs habitudes, fatigués, parfois inquiets ou débordés. Leurs réactions aux comportements de l’aîné s’en trouvent souvent fortement modifiées, parfois sans qu’ils ne s’en rendent compte. Dans ces moments là, la présence à ses propres émotions permet de faire redescendre la pression, de présenter différemment les limites à l’enfant (« Aujourd’hui je suis tellement fatigué que je ne peux pas accepter que tu fasses du bruit avec tes instruments, est-ce que tu peux remettre cela à demain et jouer avec ceci ou cela à la place ? ») et de prendre conscience que nous avons des besoins à satisfaire.
J’accompagnais récemment un couple, dont le papa était en recherche d’emploi et avait beaucoup de difficulté à se concentrer sur plusieurs choses à la fois. Lorsque sa fille de 2,5 ans faisait du bruit dans l’appartement (cris de joie, chanson, poser des questions…), il lui demandait de se taire, comme si cela était un attendu universel. Si la petite fille ne répondait pas à cette attente et se mettait à se rouler par terre ou à crier de frustration face à cette demande, la situation empirait évidemment. Il est pourtant question ici d’un besoin de l’adulte (besoin de calme, besoin de concentration), d’un fonctionnement propre à l’adulte (difficulté de concentration) et d’émotions propres à l’adulte (stress en lien avec la recherche d’emploi), tout autant qu’un besoin légitime de l’enfant (bouger, s’exprimer, vivre !).
Lorsque le parent devient capable d’être à l’écoute de son intériorité, il gagne en justesse dans l’expression du cadre, tant dans la définition même des limites (il peut par exemple revenir sur un « non » automatique et accepter un comportement, ou l’inverse) que dans la manière dont il les pose.
Par ailleurs, ne négligeons pas le rôle des neurones miroirs qui s’activent face aux émotions de nos enfants et qui peuvent nous faire éprouver une émotion semblable en écho. On dit souvent que la colère est contagieuse ! Et c’est particulièrement vrai lorsque nous sommes dans notre rôle parental, avec la pression que nous pouvons ressentir à faire cesser le comportement inapproprié, d’autant plus fortement ressentie que nous sommes en public. Là encore, avoir conscience que tous ces paramètres influencent nos réactions est crucial.
Enfin, il est important de rappeler comme je l’ai déjà écrit ici que donner ce que nous n’avons pas reçu est éprouvant. Je crois que parfois, les comportements de nos enfants nous font sortir de notre rôle d’adulte et redevenir l’enfant que nous avons été, de manière souvent inconsciente. Et si l’adulte est tout à fait disposé à laisser la colère se manifester, l’enfant en nous peut éprouver un sentiment d’urgence et/ou de colère et/ou d’injustice face à un comportement qui ne lui a jamais été permis… Lutter avec soi et en soi consomme beaucoup de ressources, qui ne peuvent donc pas être mise au service de l’enfant et c’est OK. Dans l’Intérêt de chacun, l’urgence est parfois de ne rien faire, de s’empêcher de réagir et d’aller à la rencontre de soi.
Thomas d’Ansembourg parle de « s’asseoir sur la chaise de l’intériorité » et de dialoguer avec nos émotions : que veux-tu me dire ? Quel est ton message pour moi ? Souvent, l’urgence est dans ce dialogue intérieur que nous n’avons malheureusement pas appris à mener.
Nous sommes donc toujours (au moins) deux dans une relation, y compris quand il s’agit de la relation adulte-enfant. Il y a donc toujours enlacement de deux réalités, confrontation d’au moins deux besoins, interférences entre des émotions de part et d’autre.
Le deuxième piège, c’est de se placer dans l’intention de gérer l’émotion de l’enfant. Pourquoi avons nous cette intention ? Et comment faire différemment avec un bébé ? Avec un enfant ? C’est ce que je vous proposerai dans la suite à paraître de cet article !
Par Marjorie POTEAUX MARCHAL, Doula à Nancy
www.marjorie-doula.fr
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