Le sommeil, ça s’apprend… aux parents !

28 février 2023
Le sommeil, ça s’apprend… aux parents !

Le sommeil du nourrisson, du bébé puis du bambin fait l’objet de nombreuses interrogations, qui sont au cœur de la majorité des consultations médicales. Pourtant, les bébés présentant un réel trouble du sommeil sont rares ! Seulement, “dormir comme un bébé” est une expression bien trompeuse : le sens que nous lui donnons habituellement reflète parfaitement les attentes irréalistes que les adultes, parents comme professionnels, nourrissent encore largement à l’égard du sommeil de l’enfant.

Tous prématurés !

Une fois levé le voile du silence et du tabou, une grande majorité de parents ose faire part de comportements qui sont classiquement étiquetés comme “problématiques” : réveils nocturnes même passée la barre magique des 5kg, besoin de présence à l’endormissement ou aux siestes, bambin qui dort avec ses parents, etc. Si les petits sont si nombreux à se comporter ainsi, peut-être que ce sont nos attentes qui sont anormales ?

Les préhistoriens nous expliquent que la bipédie, en modifiant le “canal de la naissance”, a rendu l’accouchement plus difficile. Dans le même temps, la taille du cerveau humain a considérablement grossi sans que le bassin féminin s’élargisse dans la même proportion.

Ainsi, pour la survie de l’espèce, un bébé humain ne peut pas naître dans le même état “d’achèvement” que la plupart des autres mammifères (qui, par exemple, peuvent gambader une heure après la naissance). En comparant les mesures du cerveau du bébé et de l’adulte, et en comparant ces proportions à ce qu’elles sont pour les autres mammifères, on estime que le bébé humain naît prématuré… de 12 mois environ !

Ainsi, pendant toute la première année, le bébé vit une “grossesse hors utérus” au cours de laquelle le développement du système nerveux, immunitaire, digestif, etc. se poursuit. De quoi porter un autre regard sur ses besoins et sur ce que nous attendons de lui !

Le sommeil ça s’apprend… aux parents

Il est important de réaliser combien la nature, la composition et le fonctionnement du sommeil du bébé diffèrent de ceux de l’adulte ! Le sommeil est d’ailleurs un processus évolutif tout au long de la vie, sans que nous n’ayons rien à forcer ou à induire.

A sa naissance, le petit d’Homme vit selon un rythme dit “ultradien”, qui se répète toutes les 3 à 4 heures, avec une alternance de phases de sommeil (sommeil calme / sommeil agité) et de phases d’éveil (éveil calme / éveil agité). Les cycles de sommeil sont plus courts et le bébé s’endort en sommeil agité (qui deviendra plus tard le sommeil paradoxal). Celui-ci représente d’ailleurs une part très importante du temps de sommeil total, ce qui n’est plus le cas chez l’adulte. C’est seulement à la fin du premier mois de vie que peut apparaître une différenciation du rythme entre le jour et la nuit, et à partir de 3 à 4 mois de vie que l’intégration des rythmes circadiens (sur 24 heures) débute. On estime que ce n’est qu’à 6 mois que la composition du sommeil nocturne du bébé ressemble à celle de l’adulte, c’est-à-dire qu’elle comporte des cycles de 70 minutes pendant lesquelles se succèdent le sommeil lent léger, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’à cet âge l’enfant va facilement dormir toute la nuit ! L’enjeu reste la capacité de l’enfant à enchaîner les cycles de sommeil sans se réveiller. Si les adultes ont, pour la plupart, la capacité à passer d’un cycle à un autre sans même en avoir conscience, les bébés, eux, peuvent avoir besoin longtemps de présence et d’accompagnement pour enchaîner ces cycles. Et il est normal que ce besoin se fasse parfois sentir de manière plus forte vers 6-9 mois qu’à la naissance, car en grandissant le bébé construit sa perception individuelle et de nouvelles peurs et insécurités apparaissent !

Les empreintes de la vie prénatales

De plus, si les rythmes biologiques du bébé se mettent en place du fait de la maturation cérébrale, chaque bébé est unique. Il a depuis les premières minutes de sa conception une histoire inédite, à l’image des liens complexes intrafamiliaux, qu’il va influencer à la fois par sa vulnérabilité et sa capacité d’adaptation inouïe. La relation au sommeil d’un bébé est souvent le reflet de certaines empreintes laissées par la vie intra-utérine ou l’accouchement : émotions de la mère que le bébé a reçu comme étant “à lui”, utérus habité par un fœtus qui n’est jamais venu au monde, complications lors de l’accouchement qui ont amené des peurs du côté des parents ou du stress du côté du bébé, décès d’enfants dans la famille qui amènent une peur inconsciente de la mort… Le bébé est loin de venir au monde tel une page blanche ou un vase à remplir, il naît avec toute une histoire ! Se laisser aller au sommeil nécessite un lâcher prise et un fort sentiment de sécurité, qui peuvent demander du temps et un accompagnement adapté pour s’établir.

Le cododo, problème ou solution ?

Le sommeil partagé (cododo ou cosleeping) peut apporter une réponse aux besoins de réassurance des bébés tout en permettant aux adultes de préserver leur qualité de sommeil. Quand, à chaque fois que l’enfant se réveille, il est nécessaire pour l’adulte de sortir complètement du sommeil, se lever, aller dans sa chambre pour le prendre dans les bras ou le rendormir de différentes façons (avec généralement une grande difficulté à lâcher prise puisque l’enfant sait que le parent va repartir), puis regagner sa propre chambre et retrouver le sommeil avant de recommencer quelques heures plus tard… les réveils nocturnes de l’enfant, bien que “normaux”, deviennent effectivement un problème !

Actuellement, le sommeil partagé reste une pratique clivante, parfois accusée d’être dangereuse ou associée à un manque de limites posées à l’enfant, tandis que pour d’autres parents c’est un incontournable du maternage proximal auquel il ne faudrait jamais déroger au risque de traumatiser l’enfant.

En réalité, cela fait bien longtemps que le petit d’Homme partage le lit de ses parents, même en Occident, sans oser le dire ni même forcément identifier qu’il s’agit de cododo. Différentes études et sondages menés en Europe montrent en effet que les parents sont plus nombreux qu’ils l’expriment en première intention à partager le sommeil de leur enfant, au moins une partie de la nuit. En effet, le cododo, ce peut être un enfant qui s’endort dans son lit puis qui rejoint ses parents en cours de nuit. Ce peut-être un parent qui navigue entre la chambre de l’enfant et la chambre parentale. Ce peut être un lit d’enfant accolé à celui des parents. Ce peut être un lit familial partagé par ceux qui le souhaitent.

Certains parents ont toutefois le sentiment que leur bébé dort moins bien à leurs côtés… et pour cause ! Une étude filmée menée par l’anthropologue James J. McKenna a montré que lorsque le sommeil est partagé, les interactions entre la mère et le bébé sont très nombreuses, toujours dans le sommeil ou le demi-sommeil. Ainsi, le sommeil partagé est associé à :

  • davantage de sommeil léger (phase 1 et 2)
  • plus de réveils et de réveils simultanés mère-enfant
  • une augmentation du nombre et de la durée des tétées nocturnes
  • beaucoup plus de contacts physiques
  • quatre fois plus d’inspection (toutes ces fois où le parent, sans s’en rendre compte, s’assure que l’enfant va bien, qu’il n’a pas chaud ou froid, etc).

Le cododo induit donc bien davantage de micro-réveils. Pour autant, ceux-ci ne nuisent aucunement à la qualité de sommeil et au développement du bébé, au contraire ! Si les consignes de sécurité sont respectées, le cododo serait même préventif de la MSN, puisqu’un bébé qui dort seul a plus de sommeil profond à un âge où ses mécanismes d’éveil ne sont pas encore au point.

Pour d’autres familles, le cododo est loin d’être la panacée ou ne l’est que sur une courte période. C’est notamment le cas lorsque les parents ont un sommeil perturbé par la présence de l’enfant, qu’ils ne trouvent pas le sommeil, sont trop dérangés par ses bruits, etc. Dans ce cas, cela peut être le parent qui a le meilleur sommeil qui pratique le cododo avec l’enfant tandis que l’autre parent dort dans une autre chambre, ou auprès de l’aîné. Partager le sommeil en ayant des espaces bien délimités (par exemple avec un matelas d’enfant au pied du lit des parents, ou un berceau accolé) peut arranger la situation. Dans
d’autres familles, les parents préféreront se relayer pour gérer les réveils nocturnes que de pratiquer le cododo, et c’est tout à fait légitime.

Le cododo prend en réalité des formes très variées et les familles qui trouvent cette solution bénéfique pour leur foyer sont en réalité souvent amenées à faire évoluer dans le temps l’organisation du sommeil, en fonction des besoins des enfants et des parents.

En tant que professionnels, l’important reste d’accompagner les parents à trouver les solutions adaptées à leur famille et à leurs besoins particuliers, en se débarrassant de la couche anxiogène de stress et de culpabilité induite par la méconnaissance des rythmes de l’enfant, la pression de l’entourage et les attentes irréalistes.

Source : Partager le sommeil de son enfant, Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau

Marjorie POTEAUX MARCHAL, Doula à Nancy
www.marjorie-doula.fr

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