5 peurs existentielles qui nous conditionnent (ainsi que nos enfants!) – La peur d’entrer en contact
10 mars 2023Un enjeu pour les parents et les professionnels de la périnatalité
Il est probable que vous connaissiez Les 5 blessures qui empêchent d’être soi de Lise Bourbeau. J’ai eu l’occasion d’approfondir ma compréhension de ces “5 blessures” grâce à la lecture de La posture juste de Thierry Janssen, qui s’appuie sur les travaux du psychiatre Autrichien Wilhelm Reich et de deux de ses élèves, Alexander Lowen et John Pierrakos, qui sont les fondateurs des théories ensuite reprises et vulgarisées par Lise Bourbeau. Et si j’ai envie de vous en parler aujourd’hui, c’est que ces apports me semblent fondamentaux pour cheminer dans notre posture de professionnels de la périnatalité, tout autant qu’en tant que parents.
La grille de lecture de Reich, Lowen et Pierrakos est psycho-corporelle : elle permet de comprendre le lien entre les pensées (nos croyances), les émotions (l’énergie) et les réactions physiques (nos comportements).
Reich, Lowen et Pierrakos ont identifié 5 grandes peurs existentielles qui se sont activées chez chacun d’entre nous (et donc, chez chacun de nos enfants…) au cours de cinq étapes de notre développement. Ces 5 grandes peurs ont donné lieu à l’apparition de 5 conditionnements, qu’ils appellent “trait de personnalité” (puisque notre personnalité n’est pas notre “essence” innée, mais une construction de notre égo, sur la base de notre éducation, nos expériences de vie et nos blessures).
À ce stade, il est important de noter que :
- Ces conditionnements ne nous sont pas favorables, ni à titre individuel, ni à titre collectif. Sur le plan individuel, ces comportements sont destinés à nous éviter d’expérimenter des émotions douloureuses mais finissent par produire exactement ce que nous souhaitons éviter ; c’est ce qu’on appelle en psychologie une logique névrotique, ou un enfer-mement pour reprendre les mots de Thomas D’Ansembourg (CNV). Sur le plan sociétal, ces comportements (déconnexion de la réalité, tendances à la dépendance, peur de manquer, avidité, volonté de contrôle, mensonge, manipulation, trahison, domination, exploitation, culpabilisation, invasion, agression, soumission, jugement…) amènent à la multiplication des crises collectives que nous connaissons (guerres, racisme, intolérance religieuse, violences à la maison, à l’école et au travail, tensions sociales, offenses faites à la nature, etc).
- Nous sommes tous, de manière plus ou moins visible et impactante, victimes de ces conditionnements tant que nous n’en avons pas pris conscience et que nous n’avons pas entrepris un travail d’observation et de libération. Ces conditionnements influencent notre rapport avec les autres, donc notre rapport avec nos enfants et les parents que nous accompagnons, entre autres.
- Ces conditionnements sont pour la plupart non conscientisés : parce qu’il s’agit de peurs existentielles et qui touchent à la perception de notre survie, les conditionnements qui en découlent sont inscrits dans les couches les plus profondes de notre cerveau, au niveau du cerveau reptilien. Ainsi, ces conditionnements nous gouvernent à notre insu et il peut être difficile de lutter contre eux. Ils ont donc besoin d’être observés, mais aussi accueillis avec beaucoup de douceur lorsque nous les repérons en nous-même ou chez les parents que nous accompagnons en tant que professionnels.
Ainsi, il me semble que les travaux de Reich, Lowen et Pierrakos devraient être connus tant des parents (pour eux-même et pour leurs enfants) que des professionnels qui accompagnent les parents et les enfants, puisque ces 5 peurs sont toutes traversées à des stades bien précis du développement de l’enfant, de la vie in-utéro jusqu’à l’adolescence.
La peur d’entrer en contact et le trait de personnalité “schizoïde” : une empreinte de la vie intra-utérine et de la naissance
Aujourd’hui, je vous propose de porter notre attention sur le trait de personnalité ‘schizoïde”, qui est le premier à se mettre en place, dès la vie intra-utérine.
Le trait de personnalité “Schizoïde” naît d’une réaction instinctive de déconnexion (skhizein en grec signifie “couper, dissocier, séparer, déconnecter”) provoquée par la peur d’entrer en contact et d’établir un lien.
Cette peur de contact apparaît très tôt au cours de l’existence, dès la vie intra-utérine, par exemple lorsque le foetus perçoit des stimulations sonores ou tactiles trop intenses, ou lorsqu’il vit des changements désagréables de son monde intérieur en lien à des changements d’état émotionnels de sa mère. C’est aussi une peur qui est inhérente à la naissance : les contractions utérines perçues par le bébé comme une poussée, tandis que sa tête est confrontée à l’obstacle de la filière vaginale, sont ressenties comme un danger potentiel et stressant. De même, les multiples stimuli sensoriels qui affluent à la naissance (l’air qui entre et sort des poumons pour la première fois, la lumière, les bruits, les odeurs, les frottements des vêtements, les manipulations, etc.) sont facilement ressentis par le bébé comme trop intenses ou potentiellement dangereux pour sa survie, car très éloignés de ce qu’il vivait in-utéro.
Comme le nouveau-né n’a pas la capacité de penser, d’analyser et de relativiser ses expériences, il ne peut que percevoir et réagir émotionnellement à ce qu’il perçoit.
Ainsi, face à ces perceptions qui pourraient être néfastes à sa survie, le bébé déconnecte par les pleurs et par le sommeil, ce qui est la première réaction de défense (évitement) et la seule qui lui soit accessible.
Le trait de personnalité schizoïde est donc lié à la part très sensible de l’être, qui amène le bébé à préférer se couper de son ressenti pour se protéger.
Le toucher et la vue du bébé sont des sens particulièrement sollicités quand il s’agit d’entrer en contact avec le monde extérieur, en l’absence du langage. Ainsi, s’il peut très vite se déconnecter du monde en fermant les yeux et en plongeant dans le sommeil lorsque ses perceptions sont trop intenses, lors de ses phases d’éveil le bébé recherche en contrepoint le contact visuel avec les adultes qui prennent soin de lui. Inévitablement, il arrivera que ce contact ne se fasse pas (parce que l’adulte sera occupé ailleurs, sans que le bébé puisse percevoir autre chose que l’absence de lien à un moment où il en avait besoin) ou que ce contact visuel se fasse avec un adulte préoccupé voir fâché (sans que le bébé puisse percevoir autre chose qu’une menace pour lui). À ce moment-là, le bébé pleure et/ou se déconnecte de la personne ou de la situation et au fil de ses expériences, il peut adopter l’évitement et la déconnexion comme comportement de survie.
Ce conditionnement génère beaucoup d’insécurité et amène pour l’enfant une difficulté à établir le lien, à occuper sa place dans le monde, à croire à sa capacité d’exister sans être en danger et une difficulté à sentir la vie en soi et autour de soi, puisque la vie naît des liens. Devenu adulte, il peut entrer dans une spirale d’isolement et d’insécurité, s’exclure par peur d’être exclu. Le corps typiquement schizoïde est, entre autres, un corps qui n’est pas vraiment habité, une posture physique non ancrée. Je vous invite à lire le livre de Thierry Janssen pour un approfondissement du trait de caractère schizoïde.
Ce conditionnement existe en chacun de nous ; il est le mode de fonctionnement préférentiel de certaines personnes, mais il peut être beaucoup plus discret chez d’autres personnes et se réveiller chez chacun de nous en fonction de nos rencontres et de nos expériences.
Lise Bourbeau l’appelle “blessure de rejet” mais j’adhère complètement au propos de Thierry Janssen qui indique que la réaction de survie à l’origine de ce conditionnement est née d’un ressenti physique et émotionnel expérimenté par le bébé à un âge où il n’a aucune possibilité d’analyser et d’interpréter ce qui a provoqué la sensation perçue ou l’émotion éprouvée. L’idée d’un rejet est donc une interprétation ; elle peut être une réalité (dans le cas par exemple d’une mère qui ne désire pas accueillir l’enfant), mais dans la plupart des cas, il n’y a aucune intention de rejet de la part de l’adulte. Il y a simplement une absence de filtres mentaux du côté du bébé lui permettant de mettre à distance les stimuli de la vie terrestres qui sont si éloignés de son vécu in-utéro, ainsi que des adultes qui sont, de manière quasi inévitable, parfois physiquement ou émotionnellement indisponibles pour le bébé.
Respect de la naissance, libération, déconditionnement… en tout humilité
En tant que doula, la compréhension de la part schizoïde qui existe en chacun :
- renforce ma conviction qu’il est crucial de respecter l’intimité de la naissance, dans l’intérêt des femmes qui enfantent mais aussi dans l’intérêt des bébés qui doivent faire face à l’intensité de la naissance et des stimuli terrestres. Accueillir bébé dans la douceur, l’intimité, avec peu de manipulation, une lumière tamisée, des mains chaleureuses, un peau à peau prolongé, le silence, le respect de son rythme… c’est atténuer le fossé auquel le bébé fait face lorsqu’il vient au monde.
Sur mon blog personnel Happynaiss, j’ai écrit plusieurs articles autour de la naissance respectée, les gestes pratiqués sur les bébés en salle de naissance et l’accouchement à domicile.
- augmente ma conscience que le vécu de la mère et celui du bébé, s’ils sont très intimement liés, peuvent aussi être très différents. Ils sont étroitement liés car le bébé perçoit nettement les variations d’états émotionnels de sa mère, d’abord dans son ventre puis dans ses bras, mais il les vit différemment d’elle puisqu’il n’a ni les filtres mentaux ni les capacités d’analyse pour les comprendre autrement qu’en lien direct avec lui et sa survie. Il peut aussi vivre très différemment d’elle la naissance : une naissance très rapide peut être source de joie et de puissance pour la mère, tandis que pour le bébé elle est synonyme d’une intensification du stress qui le pousse à déconnecter.
Lors du « Bain Emotionnel du nouveau-né » par exemple (qui permet au bébé de libérer certaines empreintes liées à l’accouchement), on peut sentir ce décalage entre les vécus et faciliter la compréhension mutuelle. Les pleurs qui peuvent émerger à la sortie de ce bain sont alors des messages qui racontent le vécu du bébé et permettent aux parents de mieux le comprendre, mais ils sont aussi une formidable expérience pour le bébé de ne pas cristalliser le conditionnement “perception de danger – coupure/déconnexion”. Lorsque j’ai la chance d’assister ma collègue et consoeur Marion* lors de ces bains, j’observe l’apaisement profond du bébé lorsqu’elle propose aux parents d’entrer en connexion par le regard avec le bébé qui pleure. Un regard qui dit “je t’écoute, je t’accueille et nous pouvons entrer en lien à ton rythme”. C’est une belle occasion de créer un nouveau chemin mental : “perception de danger – lien – écoute et apaisement”.
- m’invite à l’humilité, tant dans ma posture de mère que de professionnelle. Le terme “blessure” employé par Lise Bourbeau me laissait, à tort, penser qu’en étant éclairés, nous pouvions éviter à nos enfants et aux enfants que nous accompagnons de vivre ces blessures. Mais il s’agit bien de peurs existentielles qui sont inhérentes à notre condition humaine: nous pouvons seulement apprendre à les connaître et à les reconnaître, d’abord en nous puis chez l’autre. Auprès de nos enfants, nous ne pouvons que veiller à notre qualité de présence à lui pour être en mesure d’accueillir et d’adoucir sa confrontation à ces peurs existentielles et l’accompagner à se libérer des conditionnements qu’il sera amené à mettre en place, même si ceux-ci seront probablement moins puissants qu’ils ne le sont chez nous.
N’hésitez pas à me faire savoir en commentaire si ce sujet vous intéresse et si vous souhaitez que je poursuive l’exploration de ces peurs.
*Marion Ortega Didier, doula et haptonome et formatrice pour Tikoala
Liens :
Un projet d’accouchement différent – Happynaiss
Accoucher a la maison : un choix de hippie inconsciente ? – Happynaiss
Naissance : ces violences sur nos bébés qu’on appelle « soins »… – Happynaiss
Par Marjorie POTEAUX MARCHAL, Doula à Nancy
www.marjorie-doula.fr
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Classé dans : Accueillir un bébé
4 commentaires
Très intéressant, j’aimerai en apprendre d’avoir sur cette peur d’entrer en contact. Même s’il me faut relire a plusieurs fois les phrases pour bien les comprendre et les ancrer.
Merci Célia.
N’hésitez pas à découvrir l’ouvrage de Thierry Janssen si vous voulez approfondir. Si vous avez une question en particulier vous pouvez me la poser ici. Bonne fin de journée !
Article passionnant! On veut la suite! Merci vraiment
Merci Sylvie, la suite sera consacrée à la peur de perdre le lien 🙂 A bientôt par ici !